Nous allons parler d’un outil démocratique qui permet aux citoyens et associations de s’exprimer : c’est le droit d’interpellation citoyenne. C’est une plateforme, un peu comme celle de l’Assemblée nationale qui permet de soumettre des pétitions. Il en existe aussi en Gironde, par exemple, ou dans d’autres municipalités et régions de France.
Le contenu de cet article est issu d’une interview de Raul Magni Berton (cofondateur de Solution Démocratique, professeur de sciences politiques) et Sandrine Nouaux (coordinatrice de Solution Démocratique en Gironde) réalisée par Radios Libres en Périgord en novembre 2025, que nous remercions.
Sommaire
- 1 Pourquoi le droit d’interpellation citoyenne est-il important ?
- 2 Difficultés rencontrées à Grenoble avec le dispositif d’interpellation citoyenne
- 3 Quel seuil de signataires de pétition choisir ?
- 4 Le droit d’interpellation citoyenne à Bordeaux
- 5 Quel support (papier, informatique) pour les signatures ?
- 6 Comment mettre en place le droit d’interpellation citoyenne ?
- 7 Pourquoi le référendum est très important ?
- 8 Droit d’interpellation citoyenne au niveau national ?
Pourquoi le droit d’interpellation citoyenne est-il important ?
Cela dépend de la comparaison. Par rapport à une situation où il n’y a rien, juste des élus qui consultent (réunion de concertation par exemple), le droit d’interpellation citoyenne évidemment utile. La dernière fois, nous avions parlé de la Suisse : un ami suisse m’avait demandé comment ça se passe en France pour les municipales. Il me dit : « Le maire est élu pour six ans, et au milieu, si ça se passe mal, vous faites quoi ? » Je lui réponds : « Rien. » Il me regarde, surpris : « Comment ça, rien ? » Et je lui explique qu’il faut attendre six ans. Il m’a dit alors : « Ah, maintenant je comprends : si j’étais en France, je serais dans la rue tout le temps ! »
Ce n’est donc pas que les Français aiment manifester : ce sont leurs institutions qui les y poussent.
On a inventé des petits outils comme les assemblées citoyennes ou les budgets participatifs. Mais ces dispositifs ne permettent pas d’agir si quelque chose se passe mal. Un budget participatif, par exemple, ne concerne que 5 % du budget d’investissement : c’est très peu. Les 95 % restants échappent totalement au contrôle citoyen. Ce n’est donc pas un instrument de contre-pouvoir.
L’interpellation citoyenne, elle, permet d’intervenir en cours de mandat, soit pour proposer quelque chose, soit pour contester une décision de la mairie. C’est donc un outil qui peut être à la fois propositif ou contestataire, et qui donne la possibilité d’exprimer une alternative pendant le mandat.
C’est assez original. Dans l’esprit, c’est proche du référendum d’initiative citoyenne locale (RIC local). D’ailleurs, dans certains cas, les élus appellent cela « interpellation » alors que c’est en réalité un RIC local. Il y a donc aussi un enjeu de vocabulaire.
Le terme d’« interpellation » vient de la monarchie anglaise du XVIIIᵉ siècle, puis de la monarchie de Juillet en France. À l’époque, les parlementaires pouvaient interpeller le roi, sans pour autant faire la loi. Le roi restait le législateur. Aujourd’hui, c’est pareil : les citoyens peuvent interpeller, mais pas décider. Le RIC local, lui, rend les citoyens co-législateurs, au même titre que des parlementaires.
Difficultés rencontrées à Grenoble avec le dispositif d’interpellation citoyenne
Quand j’ai accompagné la mise en place du dispositif à Grenoble (= Raul Magni Berton), cela a créé quelques tensions. Certains élus étaient favorables à un vrai RIC, où les citoyens peuvent prendre des décisions, alors que d’autres, dont le maire Éric Piolle, étaient plus frileux. Finalement, ils ont mis en place un système proche du RIC local, mais qu’ils ont arrêté à la suite d’une pétition concernant la fermeture de bibliothèques.
Le maire a ensuite expliqué qu’il ne voulait pas de démocratie directe, mais seulement un dispositif ponctuel permettant aux citoyens d’avoir exceptionnellement un mot à dire.
À Grenoble, il y avait environ une pétition qui atteignait le seuil chaque année pour déclencher un référenduum, ce qui me semble raisonnable. Aujourd’hui, avec le nouveau dispositif, le seuil a été multiplié par quatre, et il n’y a plus aucun référendum. Zéro référendum, non pas parce qu’il n’y a pas de sujets, mais parce qu’aucune pétition n’atteint le seuil.
Or le seuil, c’est essentiel : s’il est trop haut, il devient inatteignable, surtout pour des décisions communales souvent modestes.
À Grenoble, le seuil précédent était de 2 000 signatures, soit environ 2 % de la population. Le seuil actuel est de 8 000 signatures, soit environ 8 %. Résultat : zéro référendum en deux ans, contre trois auparavant.
Quel seuil de signataires de pétition choisir ?
Le bon seuil dépend de la taille de la commune. Plus une ville est petite, plus le seuil peut être élevé, car le bouche-à-oreille fonctionne mieux et il est plus facile de parler directement au maire.
Dans un village de 500 habitants, 2 % représentent dix personnes : ce n’est pas grand-chose. On pourrait aller jusqu’à 8 %, soit quarante personnes, ce qui est plus raisonnable.
Pour une ville moyenne de 30 000 habitants, un juste milieu serait autour de 3 à 4 %. Le critère pertinent, c’est de savoir combien d’opportunités chaque citoyen a de rencontrer le maire directement. Si c’est difficile ou impossible, il faut un seuil bas.
Encore faut-il que la mairie communique sur le dispositif. Il ne suffit pas de le créer, il faut qu’il soit connu et utilisé.
Et la meilleure communication, c’est une victoire. Dès qu’un groupe de citoyens gagne grâce à cet outil, il n’y a même plus besoin de faire de publicité : tout le monde saura que c’est possible, et voudra s’en servir.
Tant qu’aucune pétition ne réussit, les gens se méfient, pensent que c’est une façade démocratique. Et souvent, ils n’ont pas tort : même à Poitiers ou à Grenoble, les dispositifs actuels sont quasiment « ingagnables » à cause de seuils ou de quorums trop élevés. Même ceux de Bordeaux, pourtant plus ambitieux, ne fonctionnent pas réellement.

Le droit d’interpellation citoyenne à Bordeaux
(Sandrine Nouaux) Ce que je voulais dire, c’est qu’on s’est vraiment servi des travaux de Raoul à Grenoble. On a mis un quota plus bas justement pour que les Girondins puissent s’en saisir. Il y a déjà eu un droit d’interpellation citoyenne saisi par les Girondins contre les frelons asiatiques, pour la survie des abeilles, qui a atteint les 20 000 signatures.
Je voulais signaler que si le département de la Dordogne souhaitait en faire un, il pouvait joindre aussi Julie Blanquet, la chargée de mission à l’Agenda 21, qui nous a accompagnés. Comme je le disais, c’est vraiment parti d’un travail coopératif et collaboratif, et sans ce rassemblement, rien n’aurait pu voir le jour.
Et Sandrine, le fait qu’il y ait une pétition qui atteigne le seuil, ça produit votation ou pas ? En tout cas, les élus s’en sont saisis. Oui, tout à fait. Donc il y a eu un débat en conseil municipal ? Ah oui, oui, tout à fait.
C’est très important qu’il y ait une pétition qui atteigne le seuil : c’est une première victoire. Mais pour que la victoire soit pleine, il faut qu’à la fin la proposition qui a été initiée soit mise en place.
Par contre, il y a quand même une modalité sur le droit d’interpellation en Gironde : il porte sur des projets environnementaux. Il y a donc une modalité thématique sur ces droits d’interpellation, c’est à rappeler.
Quel support (papier, informatique) pour les signatures ?
Alors sur la question de comment ça se passe concrètement pour mettre en place : votre question sur les seuils est très bonne, parce que ce n’est pas seulement une question de pourcentage — on a parlé tout à l’heure de 2 %, 8 % —, mais il y a aussi la question du support de signature.
Effectivement, on sait que le support le moins utilisé, mais pourtant le meilleur, la meilleure pratique si l’on veut, c’est le bon vieux support papier.
Pourquoi ? Parce que lorsque il y a une initiative de ce type, la logique de cette initiative, c’est que les gens discutent. Ils doivent discuter avant, pendant la collecte de signatures, et aussi après s’il y a une votation pendant la campagne. La collecte de signatures, c’est un grand moment où chacun essaie de convaincre ses concitoyens de signer le projet.
Avec Internet, c’est plus compliqué : lorsqu’on l’a vu avec la pétition pour Aéroports de Paris, c’était difficile. Le site buggait, certains ne savaient pas l’utiliser. Il fallait aller sur les marchés avec son ordinateur, aider les personnes qui voulaient signer… Donc le papier, c’est très important.
Ceux qui défendent le papier ne sont pas contre la signature électronique, mais contre l’abolition du papier. Il faut les deux, au moins. Parfois, quand la thématique est peu affrontée, les pétitions électroniques sont privilégiées.
À l’Assemblée nationale, par exemple, il n’y a pas de pétitions papier : tout est sur Internet, avec un support via FranceConnect, pour authentifier les signatures.
C’est un autre enjeu : qui authentifie, pour éviter la triche ?
Sur papier, on met son nom, son adresse, et on peut vérifier un échantillon, par exemple 5 %. Si tout est cohérent, c’est bon.
En ligne, FranceConnect permet d’assurer cette vérification automatiquement, mais ça crée une barrière supplémentaire : certains ne connaissent plus leurs codes, d’autres ne sont pas à l’aise avec ce genre de procédure.
En revanche, la diffusion en ligne est plus facile : pas besoin de passer du temps sur les marchés à convaincre des gens qui n’ont pas le temps, alors qu’en ligne, chacun peut lire tranquillement et se faire une opinion.
Mais c’est dommage, car en ligne, chacun clique dans son coin, ce n’est pas l’esprit de la chose. L’esprit, c’est la rencontre, la discussion, la confrontation d’arguments.
Certaines plateformes comme Kialo permettent de débattre autour d’une pétition, avec arguments pour et contre, anonymes ou non, ce qui recrée cet espace de discussion.
Je ne suis pas un conservateur structurel, mais disons que le jour où tout le monde sera à l’aise en ligne, avec des forums associés aux signatures, là, on pourra remplacer la pétition papier. Mais ce qui compte, c’est la fonction : venir convaincre, échanger, confronter les points de vue.
Comment mettre en place le droit d’interpellation citoyenne ?
Dans les villes comme Grenoble, Bordeaux ou Poitiers, le coût de mise en place n’est pas très élevé. Une plateforme de pétition coûte quelques milliers d’euros. En comparaison, un référendum local peut coûter jusqu’à 80 000 €, surtout dans une grande ville.
Les référendums nécessitent des effectifs pour organiser le scrutin, bloquer des écoles, et respecter les règles électorales. Il faut aussi faire attention aux périodes : on ne peut pas organiser un référendum en même temps qu’une élection.
Autre question : les compétences des collectivités. Elles sont très étroites et parfois floues, même pour les maires ou les services techniques.
Il y a deux approches :
- soit on fait un contrôle de compétence en amont, via un service juridique ;
- soit on attend que la pétition atteigne le seuil avant de vérifier.
La première option a été utilisée à Grenoble : le contrôle était fait par les services juridiques et ceux de la participation, sans embauche supplémentaire. Ils étaient volontaires, et ça leur a permis de mieux comprendre leurs propres compétences.
Mais si l’activité citoyenne est intense — une pétition par jour, par exemple —, ça peut devenir lourd.
L’autre extrême, c’est de vérifier seulement à la fin, mais c’est décourageant pour les citoyens si leur pétition est rejetée après des semaines d’efforts.
Des formules intermédiaires existent : par exemple, il faut d’abord 50 soutiens pour qu’elle soit étudiée, puis elle peut être mise en ligne. C’est ce qui se fait en Gironde et à Bordeaux.
Enfin, il faut se demander ce qu’il advient de l’initiative :
- soit elle est soumise à un vote des citoyens (référendum, votation informelle),
- soit elle est débattue en conseil municipal.
Dans la majorité des cas, il y a simplement un débat, ce qui est déjà bien, mais il est alors plus difficile de dire « qui a gagné ». Pour qu’il y ait une vraie victoire, il faut que la proposition soit appliquée.
Le but de ces outils de démocratie, c’est justement de ne plus avoir de camps, mais de permettre à tous, entre voisins, de discuter et de décider ensemble de notre avenir.
L’important, c’est que tout le monde discute, mais pour que cela fonctionne, il faut aussi un moyen de trancher les désaccords. C’est là qu’intervient le référendum.
Pourquoi le référendum est très important ?
Donc c’est ça le référendum, c’est quand il y a un conflit entre deux parties de la société qui peuvent être à l’occasion par exemple typiquement le conseil municipal et une frange de la population qui signe une pétition, ils ne sont pas d’accord, ils sont en conflit. Donc ils appellent un vote tiers. Au moment où on appelle au vote tiers, il n’y a plus de consensus, de débat. Il y a une bataille entre deux camps et la majorité garde.
Mais là où par contre ce dispositif, la capacité de soumettre à l’électorat, produit du dialogue et du consensus, c’est que sachant que quand il y a un conflit, on remet les clés à l’électeur plutôt que de remettre les clés à l’électeur que personne n’a intérêt à le faire de toute manière, puisque c’est très incertain ce qui va arriver et que c’est coûteux, eh bien on va essayer de se mettre d’accord.
Donc si vous imaginez un représentant aujourd’hui, vous allez le voir, vous n’êtes pas contents, même si vous êtes cinquante, il peut vous ignorer, il peut vous écouter dire “oui, oui, on en parlera après l’élection”, il peut dire des choses comme ça, finalement il nous fait un sourire.
Mais par contre, si vous avez la capacité de le forcer via une votation, là il va être beaucoup plus attentif à vos communications. Il va essayer de trouver avec vous un moyen de ne pas aller à votation justement.
Donc c’est pour ça que le consensus et le dialogue ne peuvent pas être l’objectif. L’objectif c’est comment trancher le conflit, et en fonction de comment on tranche le conflit, cela crée plus ou moins de dialogue dans la société.

Droit d’interpellation citoyenne au niveau national ?
En ouverture, on peut parler des conflits qu’il y a dans la société sur le plan national, et il nous faut des moyens pour trancher ces conflits aussi à l’Assemblée nationale, au gouvernement, les premiers ministres où on ne sait pas lesquels choisir par exemple. Et donc en mettant ces outils déjà nationalement, municipalement, localement, on pourra espérer les avoir aussi au niveau national.
La situation nationale, je pense qu’on est tous d’accord que c’est une situation qui est globalement quand même assez préoccupante parce qu’en fait ça va dans l’autre sens. On pourrait imaginer qu’on a un système parlementaire dans lequel les citoyens ont de plus en plus de voix, alors que c’est le contraire : le parlement lui-même a de moins en moins de pouvoir par rapport à l’exécutif.
C’est une situation où les pouvoirs se concentrent. Et quand les pouvoirs se concentrent, ce n’est jamais bon, parce que si vous avez un président qui vous plaît, tant mieux. Mais quand il y a un président qui ne vous plaît pas, il peut tout faire. En fait, vous n’avez pas droit au chapitre.
Modifier l’article 89 de la Constitution en y introduisant ce nouveau droit politique serait une belle avancée.