Sabrina Haerinck est l’une des rares conseillères municipales française élue suite à un tirage au sort sur les listes électorales. Nous l’avons interviewé à la suite de la parution de son livre Citoyenne à part entière – Récit d’un coup du sort paru en novembre 2025. Retrouvez ci-dessous une retranscription résumée de l’interview filmée, qui est aussi l’occasion de faire le bilan de ce mandat d’une liste citoyenne.
Sommaire
- 1 Qui est Sabrina Haerinck, conseillère muncipale à Chambéry et autrice ?
- 2 Pourquoi avoir écrit un livre suite à cette expérience sur une liste citoyenne ?
- 3 Les limites de la démocratie représentative
- 4 Les limites de la démocratie participative
- 5 L’équipe élue a-t-elle permis aux citoyens de décider (et pas seulement participer) ?
- 6 Pourquoi le maire n’a parrainé personne à la présidentielle ?
- 7 Quelles suites donner suite à ce mandat ?
Qui est Sabrina Haerinck, conseillère muncipale à Chambéry et autrice ?
J’ai 46 ans et je vis à Chambéry, en Savoie. Je suis originaire du nord de Lille.
Ce livre, c’est vraiment un très gros projet. Je n’aurais jamais cru pouvoir le faire. C’est une amie qui m’a proposé d’écrire, parce que moi j’ai des difficultés à écrire. Donc j’ai raconté, elle a écrit, et elle ne voulait pas trop apparaître là-dessus, mais je la remercie. C’est Laura, une ancienne avocate de Lille, qui est aussi passée par l’école de journalisme de Lille. On s’est retrouvées ici, en Savoie, et on partage pas mal de choses en commun.
L’idée, c’était de relater le mandat, parce que dans mon parcours il est arrivé un truc un peu atypique. En 2019, un mouvement citoyen créé à Chambéry, “Mouvement citoyen Grand Chambéry”, avait lancé un tirage au sort sur la liste électorale. Ils ont tiré une centaine de personnes au sort et les ont contactées avec un courrier. Je faisais partie de ces personnes. Ensuite, ils ont refait un deuxième tirage, et sur l’ensemble des personnes contactées, nous étions une dizaine à avoir répondu à l’appel, à être curieux, à s’être présentés à des réunions. Au final, deux personnes ont été élues : un adjoint, Jean-Pierre, aujourd’hui adjoint à la culture à Chambéry, et moi-même. Il y avait aussi deux autres personnes sur la liste, en position non éligible.
Parmi toutes ces personnes, j’étais la seule à ne pas être impliquée dans des associations, à ne pas connaître le mouvement auparavant, ni à avoir de lien avec la politique. Les autres avaient déjà certaines connexions. Au départ, l’idée du mouvement citoyen, c’était d’aller chercher des gens de tous horizons pour intégrer la liste. C’est bien pour une campagne, mais ensuite, que se passe-t-il une fois qu’on est en responsabilité ? Comment les personnes sont-elles accompagnées, ou pas ?
Pourquoi avoir écrit un livre suite à cette expérience sur une liste citoyenne ?
Ce livre, c’est un livre personnel, ma vision de ce que j’ai vécu, à partir de faits. Certains pourraient dire que ce n’est pas la vérité, mais en tout cas, c’est le bout de ma vérité, une pièce d’un grand puzzle qui construit la vérité globale. C’est ma contribution, mon éclairage.
Il faut que des gens qui ne sont pas forcément des “politiques habituels” s’investissent dans ces instances, parce que maintenant je connais une notion que je trouve importante : la parité sociale.
Les limites de la démocratie représentative
Je crois que si je ne me sens pas représentée à l’Assemblée ou dans les instances, c’est parce qu’il y a un manque de parité sociale. Cette notion est défendue par l’économiste Julia Cagé et par l’association “Démocratiser la politique”. Ils ont publié un rapport, disponible sur leur site, très intéressant. Il montre que parmi les personnes élues, seules une fraction vient des classes populaires, ouvriers ou employés. Leur idée, c’est que quand on va chercher des personnes issues de ces milieux, il faut leur donner plus de lumière et mieux les accompagner, parce qu’elles n’ont pas forcément tout le bagage. C’est exactement ce que je dis dans le bouquin.
Dans ce livre, je décris vraiment les limites de la représentativité. Dans la démocratie représentative, il y a des problèmes, notamment parce que la population française n’est pas bien représentée dans les instances décisionnelles. Il existe d’autres courants et associations, dont je fais partie, qui cherchent à répondre à cela et même à aller au-delà.
Voir le livre de Sabrina sur le site de l’éditeur
Mon constat, c’est que notre système actuel ne me convient pas. Il est puissant, il se protège. J’aimerais pouvoir le changer. Autrefois, je pensais que la lutte insurrectionnelle pourrait y parvenir. Aujourd’hui, je crois plutôt qu’il faut investir les institutions de l’intérieur, réinvestir ces espaces pour essayer de faire bouger les lignes.
Mais il y a des limites. Quand un mouvement citoyen, comme celui dont je viens, organise un tirage au sort pour aller chercher des personnes éloignées de la politique — abstentionnistes, gilets jaunes, simples citoyens — et les invite à s’impliquer dans la vie locale, c’est une excellente idée au départ.
Dans le livre, je raconte justement les écueils que j’ai constatés : ce qu’il a manqué ensuite. Car la participation, c’est bien, mais il ne faut pas que ce soit juste de l’affichage. Ce n’est pas seulement aller chercher des gens, c’est aussi les écouter réellement.
C’est le deuxième volet de ma réflexion. Et enfin, le troisième, c’est le fonctionnement de nos institutions. Il existe déjà des dispositifs de participation ou de concertation, mais ils sont peu connus, pas obligatoires, et surtout, rien n’oblige les élus à tenir compte des avis recueillis.
C’est là tout le problème : on parle de participation, mais sans engagement réel à en tenir compte.
Parce qu’en réalité, le suffrage universel, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, dit simplement : « J’élis un représentant pour un certain temps, il a un mandat pour me représenter, et donc il peut prendre des décisions en mon nom. »
Les limites de la démocratie participative
Sauf qu’en introduisant un système de participation citoyenne, j’ai découvert toute la complexité que cela représente. Déjà, tout le monde ne participe pas. On retrouve souvent, dans ces dispositifs, les mêmes profils : ce qu’on appelle les TLM — Toujours Les Mêmes.
C’est une notion que j’ai découverte grâce à Nicolas Rio et Manon Loisel, qui ont d’ailleurs écrit un livre sur la démocratie participative.
Et effectivement, sociologiquement, on y retrouve toujours les mêmes catégories de personnes, ce qui fait que leurs avis se retrouvent surreprésentés dans ces espaces.
Alors oui, faire de la participation citoyenne, c’est bien… mais comment faire pour qu’il y ait vraiment une pluralité et une diversité des points de vue ? Et surtout, quelle légitimité accorde-t-on à ces avis-là ?
Je comprends aujourd’hui à quel point il est difficile d’articuler deux systèmes :
- celui de la représentation, où des élus décident au nom des citoyens,
- et celui de la participation, où l’on consulte et fait contribuer la population à travers différentes instances.
Le mieux reste évidemment le vote, on est bien d’accord. Et dans le vote, on pourrait imaginer différents dispositifs : des RIC locaux ou nationaux, un RIC constituant, un RIC révocatoire, selon les besoins.
L’équipe élue a-t-elle permis aux citoyens de décider (et pas seulement participer) ?
La réponse est non.
Pourquoi ? Parce qu’on s’est vite rendu compte qu’il existe une difficulté juridique réelle : en tant qu’élu, on a un statut et un mandat pour prendre des décisions.
Et vouloir ensuite organiser un RIC local ou une consultation décisionnelle vient se heurter à ce cadre légal.
C’est là que j’ai compris toute la limite institutionnelle de ce genre de démarche.
Note de Solution Démocratique : notre cofondateur Raul Magni Berton a rédigé un guide permettant aux élus locaux motivés de mettre en place légalement un outil de démocratie directe. Voir le guide du RIC local. Il est certain que le cadre juridique français, laissant peu de marge de manœuvre aux communes, ne facilite pas la tâche. C’est pour cela que Solution Démocratique porte 2 proposition de réforme structurelle, apartisanes, et rien d’autres. Elles sont ici.
Il faut savoir qu’à la base, là, sur la majorité de Chambéry, c’est une majorité qui s’est composée sur une liste d’alliances de second tour. Donc, ben, les ambitions ont été un petit peu revues. En tout cas, il y a bien eu des actions mises en place.
Alors, je ne suis pas élue sur la thématique de la participation citoyenne, mais malgré tout, dans le cadre de la municipalité, bien sûr que j’ai eu et j’ai toujours ces informations. Donc en fait, il y a quand même eu une plateforme spécifique qui a été mise en place, qui s’appelle Participons Chambéry .
Et il y a donc certaines petites choses, certaines petites actions qui ont été mises en place. Par exemple, sur des chantiers de plantation, il y a eu des appels pour que les habitants puissent participer, venir planter. Donc c’est une autre forme de participation.
Ensuite, sur les prises de décisions, il y a eu des sortes d’assemblées citoyennes, mais en tout cas un premier pas, où je crois qu’il y avait eu un petit tirage au sort sur des personnes qui s’étaient proposées pour participer, sur un sujet donné.
Le sujet, c’était sur les Écuries de Boigne à Chambéry. Et je sais qu’il y a des gens qui s’étaient proposés ; il fallait choisir dans ces gens qui s’étaient proposés pour réfléchir sur le projet. Les personnes ont participé à plusieurs réunions.
Après, je crois que ce qu’elles amenaient, c’était voilà… c’était un rapport, mais après bien entendu que l’ensemble des élus a décidé si oui ou non ces apports étaient pris en compte. Donc en fait, c’est ça : il y a eu des démarches, mais la décision finale restait aux élus.
Il y a aussi eu au niveau du conseil municipal les questions citoyennes.
Concrètement, cela veut dire qu’il y a une demi-heure, avant chaque conseil municipal, qui est réservée à des citoyens venus poser directement leurs questions. Ces questions, ils les ont envoyées en amont à la mairie, qui fait un tri et sélectionne certains sujets permettant d’apporter un éclairage sur des thématiques locales.
Les personnes dont la question est retenue sont invitées à venir la présenter publiquement, et ensuite l’ensemble des élus répond à cette question. Celles dont la question n’a pas été retenue reçoivent normalement une réponse écrite par courrier. C’est déjà beaucoup plus que dans certaines communes.
Donc oui, il y a quand même des choses qui ont été faites. Mais sur le RIC, je suis d’accord : il n’y a pas eu de référendum d’initiative citoyenne mis en place.

Pourquoi le maire n’a parrainé personne à la présidentielle ?
Le maire de Chambéry fait partie des 70% de maires qui n’ont pas donné leur parrainage pour la présidentielle 2022, alors même qu’il y avait des candidatures citoyennes, sans étiquette politique, comme celle portée par Espoir RIC, le mouvement citoyen dont est issu Solution Démocratique.
Je ne me souviens pas que le choix du parrainage ait été abordé en conseil municipal, je ne crois pas que ça a été le cas. En fait, c’est typiquement le genre de sujet qui est un peu éludé, parce qu’à partir du moment où on est sur une majorité d’alliance de second tour, les avis sont très pluriels. Dès lors, parrainer un candidat au nom du maire devient compliqué, puisque le parrainage n’engage pas seulement la personne du maire mais, symboliquement, toute la majorité.
Or c’est un pouvoir personnel du maire, et il serait délicat de l’utiliser sans l’accord explicite de ses partenaires.
Je n’ai donc pas souvenir qu’on en ait débattu, mais ça ne m’étonne pas que le maire ait choisi de ne pas prendre position à cet endroit-là. Et ça illustre bien, à l’échelle nationale, ce qui freine aujourd’hui les parrainages : quand 7 maires sur 10 ne parrainent pas, c’est souvent par prudence politique.
Quelles suites donner suite à ce mandat ?
Aujourd’hui, quand je vois l’ensemble de ces choses, j’aimerais plutôt concentrer mon action sur la cause animale — c’est d’ailleurs pour ça que je m’étais engagée au départ, comme je le dis dans le livre. Je reste un peu sur ma faim de ce côté-là. Mais il y a plein d’autres sujets, évidemment, qui m’intéressent.
Et si demain une liste porte un vrai projet de RIC local, bien sûr que ce serait quelque chose que je trouverais très intéressant. Maintenant, je comprends mieux les mécanismes des alliances, des programmes et surtout la marge de manœuvre réelle qu’on peut avoir ensuite, ainsi que la volonté politique qu’il faut pour aller au bout.
Bref, il y a beaucoup de travail, mais c’est aussi là que se joue la possibilité de faire évoluer les choses.
