Au sujet de la démocratie directe, une crainte fréquente est que le peuple serait insuffisamment qualifié pour prendre directement des décisions politiques 😞.
À cette crainte, s’ajoute souvent celle que le peuple serait trop émotif et manipulable. La preuve, diront certains, c’est le peuple qui mena Hitler au pouvoir.
Formulée de façon synthétique, cette crainte est la crainte que le peuple vote mal ❌.
Cette crainte est-elle justifiée ? Non. Nous en examinons une à une les raisons dans cet article.
Sommaire
La résistance de la démocratie directe face à l’incompétence
En démocratie directe, des citoyens votent parfois sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas. Cependant, au moins deux groupes de facteurs modèrent cette incompétence :
1️⃣ les comportements des votants peu compétents ;
2️⃣ la nature de la démocratie directe elle-même ;
Arrêtons-nous à présent sur chacun de ces groupes de facteurs.
Comment les votants surmontent leur incompétence
La littérature scientifique sur le sujet montre que les votants peuvent surmonter un faible niveau de compétence de différentes façons :
- ils s’abstiennent d’aller voter sur les sujets qu’ils ne maîtrisent pas, tout simplement ;
- ils s’alignent sur la position du gouvernement ou de leur parti de prédilection.
Sur ce point, on pourrait rétorquer que la position du gouvernement ou de leur parti favori n’est pas forcément raisonnable. Certes, mais c’est alors la compétence des élus qu’il faut remettre en cause, pas celle de ceux qui les suivent.
Enfin, imaginez à présent des votants sans aucune connaissance et qui ne suivrait l’avis de personne. Ils votent au hasard, comme s’ils lançaient une pièce 🪙.
Statistiquement, cela entraînera un équilibre entre ceux qui votent pour et ceux qui votent contre, annulant ainsi l’effet de leur vote.
La nature de la démocratie directe
Au-delà des comportements individuels, la nature de la démocratie directe modère fortement l’impact potentiel des votants peu compétents. Voyons comment.
Une mécanique lente et cadrée
Certains s’imaginent que la démocratie directe s’improvise dans la rue, sur un coup de sang 😤. En réalité, il n’en est rien.
Entre l’élaboration d’une proposition, son contrôle formel, la récolte de signatures, le contrôle des signatures, la campagne pré-référendaire et le référendum, il y a de quoi refroidir l’aspirant réformateur révolté par le dernier scandale médiatique 🥶.
Par ailleurs, notons que tout ce processus constitue une occasion formidable pour élever le niveau de compétence de la population sur l’objet de la proposition.
À ce sujet, il a été mis en évidence (sans surprise) que plus une campagne pré-référendaire est longue et intense, plus le niveau de compétence des votants augmente 📈 .
Les vertus d’une décision centrée sur un sujet
Dans une démocratie directe bien conçue, les référendums portent sur des sujets précis. Le votant n’a donc pas besoin de connaissances approfondies sur de nombreux domaines, mais seulement d’une bonne compréhension du sujet au moment du vote 🎯.
Imaginons un référendum sur la question de la hausse du SMIC.
Même si une enquête montrait que de nombreux Français ne maîtrisent pas les tenants et les aboutissants d’un tel sujet, cela ne prédirait pas leur niveau de compétence au moment du vote, surtout après plusieurs mois de campagne référendaire 👩🎓👨🎓.
Vous aussi, vous pensez que changer les règles du jeu politique en instaurant la démocratie directe est la priorité absolue ?
La démocratie directe à l’épreuve des faits
Si l’incompétence des votants était un vrai problème en démocratie directe, on devrait observer que les pays qui la pratiquent sont plus en difficulté que les autres.
Par ailleurs, plus la démocratie directe est forte, plus le pays devrait se porter mal. La démocratie directe la plus forte qui soit est celle où les citoyens ordinaires :
🔶 peuvent proposer des modifications de la Constitution de leur pays (initiative citoyenne constituante) ;
🔶 votent systématiquement toute proposition de modification de leur Constitution, qui qu’en soit l’initiateur (référendum obligatoire).
Ainsi, les pays dans lesquels les citoyens ordinaires disposent de ces droits devraient se porter plus mal que les autres.
Globalement, c’est tout le contraire que l’on observe.
➡️ Ces droits sont présents dans une dizaine de pays du monde, dont la Suisse, 4e pays le plus riche du monde en PIB par habitant (la France est à la 26e place).
➡️ Ils sont aussi présents dans la moitié des États américains dont la Californie. Si cette dernière était un état indépendant, ce serait le 5e pays le plus riche du monde en PIB par habitant.
➡️ Hors Europe et États-Unis, l’Uruguay est le seul pays d’Amérique latine à disposer de ces droits. En PIB par habitant à nouveau, c’est aussi le pays le plus riche de son continent.
➡️ Concernant le seul référendum obligatoire pour la Constitution, il est présent dans plusieurs pays d’Europe dont la Suisse, l’Irlande et le Danemark.
➡️ Au sein de l’Union européenne, l’Irlande et le Danemark sont respectivement les 2e et 3e pays les plus riches en PIB par habitant (la France est à la 10e place).
➡️ Pour revenir à la Suisse, il s’agit du pays indépendant avec le niveau le plus avancé au monde de démocratie directe en matière constitutionnelle. En comparaison avec la France, la Suisse a :
- un PIB par habitant près de deux fois supérieur ;
- une dette près de 5 fois inférieure (en pourcentage du PIB) ;
- des niveaux d’inégalités et de solidarité au moins aussi bons ;
- une paix sociale et une stabilité politique nettement plus fortes ;
- de bien meilleures niveaux de satisfaction et confiance des citoyens suisses vis-à-vis de leurs institutions politiques ;
- et tout ceci avec une moindre pression fiscale, tant pour les particuliers que pour les entreprises.
En résumé, dans les faits, rien ne laisse à penser que l’incompétence de certains votants en démocratie directe soit un problème significatif 💧.
Hitler au pouvoir grâce au peuple : une idée reçue
Le plus gros score du parti nazi s’est élevé à 37 % à des élections libres, c’est-à-dire avant qu’ils ne se mettent à utiliser la violence pour intimider les électeurs.
Autrement dit, le parti de Hitler n’a jamais obtenu une authentique majorité à des élections. Comment a-t-il pu alors en arriver à obtenir les pleins pouvoirs ? Grâce au président et aux députés allemands.
Une démocratie directe puissante en Allemagne l’aurait-elle permis ? En voyant la Suisse de l’époque 🇨🇭, on peut en douter.
La Suisse des années 30 expérimentait déjà depuis plus d’un demi-siècle une puissante démocratie directe en matière constitutionnelle. Et pourtant, à cette époque :
- La Suisse était le seul territoire germanophone où, lors de l’ascension de Hitler, les partis de sensibilité nazis étaient quasi inexistants.
- Grâce à sa démocratie directe, elle a aboli la peine de mort à une époque où les chambres à gaz étaient de rigueur dans les pays voisins.
- La Suisse a reconnu la langue romanche comme langue nationale, bien qu’elle soit parlée par moins de 2 % de la population.
- De nombreuses autres minorités que la minorité romanche venaient trouver refuge dans ce pays.
Ainsi, si cette terrible période de l’histoire devait discréditer un régime politique, il s’agirait de la démocratie représentative, et non de la démocratie directe.
Vous aussi, vous pensez que changer les règles du jeu politique en instaurant la démocratie directe est la priorité absolue ?
📚 Bibliographie 📚
Pascal Sciarini et Anke Tresch, Démocratie directe, compétence et « vertus éducatives », dans l’ouvrage Démocraties directes dirigé par Raùl Magni-Berton et Laurence Morel, 2022, Bruylant, Bruxelles.
Clara Egger et Raùl Magni-Berton, Le référendum d’initiative citoyenne expliqué à tous. Au cœur de la démocratie directe. 2019, FYP éditions, Clamecy.
Raùl Magni-Berton, Un peuple souverain est-il dangereux ? The Conversation, 2024.