Dans cet article, nous examinons la critique fréquente selon laquelle les outils de démocratie directe, notamment les référendums, pourraient entraîner des dérives populistes, plébiscitaires ou démagogiques. Ces risques seraient susceptibles de fragiliser les fondements mêmes de la démocratie.
Que met-on derrière ces mots et cette crainte est-elle justifiée ?
Sommaire
- 1 🧩Définition du populisme : mot fourre-tout
- 2 🏛️Le parlementarisme aussi peut dériver : rappel historique
- 3 🇨🇭L’exemple suisse : démocratie directe sans populisme
- 4 🧠Les parlementaires ne sont pas plus fiables que le peuple
- 5 ⚔️L’exemple de la Terreur pendant la révolution française
- 6 🎭Des exemples de dérives plébiscitaires dans le cadre de référendums ?
- 7 🧠Ne pas confondre principe et abus
- 8 🔍Faut-il réserver le référendum aux questions simples ?
- 9 🔁Pour la multiplication des référendums y compris d’initiative citoyenne
🧩Définition du populisme : mot fourre-tout
Le premier problème est que quand on parle de populisme ou de dérives plébiscitaires, la notion de populisme est assez flou : on entend tantôt parler de populisme d’extrême gauche, d’extrême droite, voire d’extrême centre.
On a un peu l’impression que le populisme est un terme commode pour désigner l’autre, celui qui ne pense pas comme nous.
La critique du référendum comme synonyme de populisme est elle-même vague et peu rigoureuse.
Parfois, des professeurs font plancher leurs élèves sur des sujets tels que « En quoi le populisme est une menace pour la démocratie » et France Culture aime proposer des émissions tantôt intitulées « Le populisme peut-il être démocratique ?« , « Les armes de la démocratie face au populisme » ou encore « Le populisme : un mal démocratique« .
Par convention, on peut dire que :
le populisme désigne un état d’esprit consistant à instrumentaliser le vote populaire à des fins autoritaires, en sollicitant moins la raison des individus que l’instinct des foules, par exemple en jouant sur les peurs, en rejetant systématiquement le système en place ou en critiquant sans nuance les personnes au pouvoir.
On pense alors à Trump aux États-Unis, Orban en Hongrie, ou parfois à Madame Meloni en Italie.

🏛️Le parlementarisme aussi peut dériver : rappel historique
Est-ce que le référendum comporte un risque de dérive populiste ou autoritaire ? Notre réponse est oui et non, ou du moins pas plus que d’autres processus démocratiques.
Un exemple : en France, le régime de Vichy, dernier régime autoritaire connu, n’a pas été porté au pouvoir par un vote populaire mais par un vote parlementaire, le fameux vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain en juillet 1940, voté par la quasi-totalité des députés et sénateurs réunis, sauf 80 contre.
Les dérives ne viennent pas toujours du peuple. Elles peuvent venir d’en haut.
Le système représentatif n’est pas une garantie contre les abus.
🇨🇭L’exemple suisse : démocratie directe sans populisme
La Suisse pratique le référendum et l’initiative populaire depuis plus d’un siècle. Et ce n’est pas un régime instable ni extrémiste.
Les citoyens votent plusieurs fois par an, sur des sujets complexes.
Le débat public est vif, mais rationnel. Le peuple suisse montre que la démocratie directe peut rimer avec maturité politique.
En Suisse, ce sont des référendums qui ont accordé le droit de vote aux femmes canton par canton, et un référendum fédéral a aboli la peine de mort.
En Afrique du Sud, ce sont des électeurs blancs qui ont par référendum aboli l’apartheid en 1992, contre l’avis de l’oligarchie blanche au pouvoir.
🧠Les parlementaires ne sont pas plus fiables que le peuple
Ces exemples montrent qu’on a tendance à surestimer la responsabilité supposée des parlementaires par rapport aux électeurs eux-mêmes. Pourtant, ce préjugé est souvent invalidé par les faits. Pourquoi ?
Parce que les parlementaires sont aussi humains et soumis à des peurs, notamment la peur de ne pas voir leur investiture renouvelée s’ils ne votent pas comme attendu, ce qui est terriblement humain et réel.
En 2005, en France, un référendum a dit non au projet de Constitution européenne. Et pourtant, si ce projet avait dû être ratifié non pas par référendum, mais par le Parlement, c’est très certainement le oui qui l’aurait emporté.
Tout simplement parce que les députés et sénateurs auraient obéi aux consignes de vote de leur groupe respectif. Ils auraient eu peur de s’en écarter, bien que beaucoup d’entre eux étaient personnellement très réticents au projet de Constitution européenne.
Un parlementaire n’est pas forcément quelqu’un de plus libre qu’un électeur qui vote dans le secret de l’isoloir. Et, en période autoritaire, les parlementaires — même bien intentionnés — peuvent tout à fait, cela s’est déjà vu, voter des lois liberticides si leur propre intégrité, par exemple, est elle-même menacée.
⚔️L’exemple de la Terreur pendant la révolution française
Sous la Terreur, ce sont bien des parlementaires, qui siégeaient à la Convention, qui votaient parfois pour des lois que l’on pourrait qualifier de scélérates. Non pas tant parce qu’ils y adhéraient eux-mêmes, mais tout simplement parce qu’ils avaient peur de ce qui leur arriverait s’ils votaient contre.
Alors que, si à la même époque ces lois avaient été soumises au référendum, peut-être auraient-elles été rejetées. Car la plupart des Français — notamment dans les campagnes, mais pas seulement — aspiraient ni plus ni moins au retour de la paix civile.
Pour un dirigeant ayant des tendances ou des propensions populistes ou autoritaires, il est finalement beaucoup plus facile de manipuler quelques centaines de parlementaires — surtout quand ces derniers lui doivent tout — que de manipuler des dizaines de millions d’électeurs.
🎭Des exemples de dérives plébiscitaires dans le cadre de référendums ?
Des exemples ? On n’en trouve finalement pas beaucoup. À une période plus ancienne, on peut penser aux plébiscites pendant la période de l’Empire. Mais il faut quand même préciser — pour rapidement évacuer ces exemples — que c’était une époque où au moins 70 % des Français ne savaient ni lire ni écrire, et où le vote n’était d’ailleurs pas totalement libre.
Une illustration : à cette époque, il n’y avait pas d’isoloir dans les bureaux de vote. Les isoloirs sont arrivés en 1902. Comparer cette époque à aujourd’hui relèverait donc du fantasme.
À une époque plus récente, on a assisté à certaines dérives plébiscitaires. C’est-à-dire lorsque le référendum est en réalité instrumentalisé dans le but de consolider le pouvoir en place. Par exemple, lors du référendum de 1969, qui portait sur un projet de régionalisation, la vraie question posée aux Français — entre les lignes — c’était en fait : « Voulez-vous ou non que le général de Gaulle reste au pouvoir ? »
Et on sait que les Français ont répondu non à une courte majorité. Alors oui, ce référendum-là, c’était une dérive plébiscitaire. Mais pour autant, on ne doit pas en tirer des conséquences excessives.
D’abord, parce que l’événement en cause n’est pas si grave, dès l’instant où l’intéressé lui-même avait loyalement joué le jeu et remis sa démission dans la foulée de la victoire du non.
🧠Ne pas confondre principe et abus
La confusion qu’il faut absolument éviter, c’est celle entre le positionnement qu’on peut avoir :
- sur le principe du référendum d’une part,
- et les éventuels abus du référendum d’autre part.
Ce n’est pas du tout la même chose. Il ne faut surtout pas jeter le bébé avec l’eau du bain et conclure que, parce qu’on peut en abuser, le référendum serait en soi une mauvaise chose.
Ce serait comme dire, dans un autre registre, que puisque certains salariés abusent parfois du Code du travail — ce qui existe — alors il faudrait en tirer la conclusion qu’il faut le réduire. C’est une idée totalement absurde.
Il est vrai qu’on peut abuser du référendum, mais pas plus que de n’importe quel autre outil ou droit.
🔍Faut-il réserver le référendum aux questions simples ?
Certains soutiennent que, pour éviter les dérives potentielles, le référendum doit être cantonné à des questions très simples, afin que celles-ci ne puissent pas être détournées de leur objectif. Par exemple, un référendum sur le maintien ou non du service national, ou peut-être bientôt sur l’aide à mourir.
Ces mêmes personnes, souvent critiques à l’égard du référendum, ajoutent qu’à l’inverse, des référendums sur des sujets comme le traité de Maastricht ou le projet de Constitution européenne, en 1992 et en 2005, n’étaient pas souhaitables, et que ce fut une erreur à l’époque de les organiser.
Pourquoi ce raisonnement ne tient pas la route ?
- Parce qu’on a déjà vu des référendums porter sur des questions très simples, qui se sont pourtant révélés être de véritables plébiscites. En 1851, par exemple, la question posée était simplement : « Voulez-vous que Louis Napoléon Bonaparte soit président à vie ? » C’était une question très simple, mais elle n’a pas empêché une dérive autoritaire : l’Empire a été rétabli peu après.
- Ensuite, même lorsque les questions posées sont en apparence plus complexes — comme en 1992 et 2005 —, il s’agissait en réalité de questions peut-être un peu plus techniques, mais pas pour autant inaccessibles. Rien ne permet de dire que les électeurs n’ont pas compris la question.
Quand on dit qu’en 2005 les Français n’ont pas répondu à la question posée, ce n’est pas tout à fait exact. En réalité, ils n’ont pas répondu ce que l’exécutif en place aurait souhaité qu’ils répondent. Ce n’est pas la même chose. Car à l’inverse, en 1992, quand les Français ont répondu « oui » au traité de Maastricht — réponse espérée par le gouvernement — personne ne s’est demandé s’ils avaient bien compris la question.
Autrement dit, le mythe selon lequel les gens ne répondraient pas à la question posée mais chercheraient simplement à approuver ou désavouer le pouvoir en place, c’est une idée largement construite a posteriori, notamment après le référendum de 2005.
En 2015, lors du 10e anniversaire de ce référendum, une enquête d’opinion avait mis en évidence de manière extrêmement claire que si ce référendum avait eu lieu à ce moment-là, c’est-à-dire 10 ans après sa date réelle, le « non » l’aurait également emporté.
🔁Pour la multiplication des référendums y compris d’initiative citoyenne
On en vient finalement à relativiser très fortement l’idée selon laquelle ce référendum de 2005 aurait pu dériver en opération populiste, supposée avoir conduit les électeurs à répondre à côté de la question. Ce n’est absolument pas le cas.
Et si on veut éviter une telle dérive, le meilleur remère préventif c’est d’organiser très souvent des référendums.
À contrario, imaginons par exemple que le président de la République soit élu à vie, et que, par conséquent, on ait une élection présidentielle une fois tous les 20 ans — voire même tous les 30 ans ou plus. Dans cette hypothèse-là, l’élection présidentielle serait à coup sûr une foire d’empoigne incontrôlable, dans laquelle les candidats les plus populistes auraient évidemment toutes leurs chances.
Pour les référendums, c’est la même chose. Si on veut qu’ils se déroulent de manière saine et apaisée, il ne faut pas en organiser un tous les 20 ans. Et pourtant, cela fait aujourd’hui bientôt 20 ans que la France n’a pas connu de référendum.
Chez Solution Démocratique, nous défendons un usage régulier du référendum. Et pas seulement sur décision des élus, mais aussi à l’initiative des citoyens.
Notre proposition de loi est déjà formulée au mot près et à fait l’objet de dépôt plusieurs fois à l’Assemblée nationale. Nous agissons pour la pousser toujours plus loin : rejoignez-nous !
